- PALÉOGRAPHIE
- PALÉOGRAPHIEL’objet de la paléographie est, comme son nom l’indique, l’étude des anciennes écritures. Tout historien, tout philologue doit donc être paléographe, et il y a autant de paléographies qu’il y a d’écritures. Cependant, la paléographie n’est pas seulement l’art de déchiffrer les textes, c’est aussi celui de les dater, de les localiser, d’en critiquer l’authenticité: tel a même été le but des travaux du premier paléographe, le Français dom Mabillon au XVIIe siècle. Par la suite, une division du travail s’est opérée entre les érudits; la critique des «documents», diplômes, chartes, actes notariés, etc., s’est constituée en discipline particulière, la diplomatique , tandis que la paléographie, étendant ses observations aux écritures «livresques», conquérait son autonomie et tendait à retracer l’histoire d’une écriture déterminée.À l’origine, la paléographie a étudié toutes les formes de l’écriture, que celle-ci soit gravée sur pierre ou sur bronze, écrite au style sur les stucs, sur l’argile (graffiti ) ou sur la cire, ou à l’encre sur poterie (ostracon ), papyrus, parchemin ou papier; au cours du XIXe siècle, les paléographes ont été amenés à négliger les écritures gravées au profit des seules écritures «écrites» à l’encre alors connues, c’est-à-dire des documents et des manuscrits médiévaux; le paléographe est devenu un médiéviste. L’étude des documents gravés s’est détachée de la paléographie sous le nom d’épigraphie; au milieu du XIXe siècle, celle-ci était encore l’art de rédiger des «épigraphes» (Dictionnaire de la conversation, t. VIII, 1854); elle est devenue l’étude des inscriptions et tout spécialement de celles des antiquités gréco-romaines.La découverte des papyrus a ouvert à la paléographie un nouveau domaine: désormais, le paléographe ne peut plus se contenter d’être un médiéviste; par là même, il est conduit à ne plus se désintéresser des inscriptions: il doit envisager l’histoire de l’écriture dans sa totalité. Mais, par ailleurs, l’étude plus approfondie de la confection des manuscrits a provoqué la création d’une nouvelle discipline: la codicologie .Ce morcellement des disciplines était inévitable et s’est révélé fécond, mais il ne doit pas faire perdre de vue l’unité foncière de l’histoire de l’écriture: paléographie, épigraphie, papyrologie, codicologie sont des disciplines connexes qui étudient les mêmes documents sous des points de vue différents et qui, par conséquent, ne peuvent vivre qu’en symbiose.Historiquement, les premières paléographies ont été grecques et latines; actuellement encore, malgré l’existence de paléographies sémitiques, hébraïques, etc., lorsqu’on parle de paléographie, c’est le plus souvent aux écritures grecques ou latines que l’on pense. Loin de se distendre, les rapports entre les deux paléographies sont au contraire devenus plus étroits depuis la découverte des papyrus. L’écriture latine étant, originairement, une écriture grecque, les contacts entre les deux écritures n’ayant été rompus que tardivement, leurs évolutions ont été parallèles: elles se sont influencées mutuellement; écrites avec les mêmes instruments sur les mêmes supports, elles relèvent des mêmes méthodes et l’on parle aujourd’hui non pas seulement d’une paléographie comparée du grec et du latin, mais même d’une paléographie gréco-latine.1. Les écritures grecques (IVe s. av.-XVe s. apr. J.-C.)Le fondateur de la paléographie grecque a été dom Bernard de Montfaucon, bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, qui publia en 1707 une Palaeographia graeca : il a inventé le mot – qu’il emploie en français («paléographie») pour la première fois dans une lettre du 14 janvier 1708 – et il lui a donné une extension très large, qui englobe à la fois la codicologie et l’étude des écritures livresques; la diplomatique et les écritures documentaires sont traitées accessoirement. Il distingue deux grandes catégories d’écritures: l’onciale (majuscules, ou capitales), dont il emprunte le nom aux latinistes et qu’il connaît mal, les exemples en étant alors à Paris peu nombreux, et les écritures liées , c’est-à-dire les minuscules , dont il possède une connaissance incomparable, le Cabinet du roi et la collection du duc de Coislin étant sur ce point d’une richesse inépuisable.La connaissance de l’écriture grecque a été renouvelée par l’apport des papyrus: les premières trouvailles furent, en 1730, celle de la bibliothèque du philosophe épicurien Philodème, contemporain de Cicéron, dans la maison des Pison à Herculanum, et, vers 1778, en Égypte, celle d’un compte daté de 192 avant J.-C., la Charta Borgiana , aujourd’hui à Naples. Mais des fouilles méthodiques ne commencèrent en Égypte qu’après les découvertes de sir Flinders Petrie (1889-1890). De plus, ce n’est qu’à partir de 1863 que la photographie commença à être employée pour la reproduction de manuscrits grecs, de sorte que ce n’est guère qu’au début du XXe siècle que les paléographes hellénistes purent vraiment commencer à exploiter les papyrus.Enfin, les progrès de l’épigraphie grecque ont profondément renouvelé l’histoire de l’écriture. Alors que Montfaucon ne connaissait pas d’inscription grecque antérieure à 450 avant notre ère, pas de manuscrit antérieur au Ve siècle de notre ère, nous possédons des inscriptions que l’on peut attribuer à la première moitié du VIIIe siècle avant J.-C. et des papyrus datés du IVe siècle avant J.-C.En Grèce antiqueDu XVe au XIIIe siècle avant J.-C., les Grecs ont utilisé une écriture syllabique minoenne, le linéaire B, déchiffré en 1952 par Michael Ventris et dont on perd la trace peu après 1200, sauf à Chypre. Pendant plus de trois siècles (XIIIe-XIe s.), les Grecs semblent avoir perdu l’usage de l’écriture. À la fin du Xe siècle, ils ont adapté à leur langue l’alphabet consonantique phénicien [cf. ALPHABET]. L’écriture n’est pas unifiée: on distingue, d’après la présence ou l’absence des signes complémentaires 淋, X et 切 ajoutés aux 22 lettres phéniciennes, trois grands groupes: les alphabets archaïques (Théra, Mélos) qui ne possèdent pas ces trois lettres; les alphabets orientaux où 淋 = ph , X = kh , 切 = ps ; les alphabets occidentaux où 淋 = ph , X = ks , 切 = kh.En 403, Athènes adopta officiellement l’alphabet oriental dit ionien et les autres villes suivirent progressivement son exemple. C’est en cet alphabet que sont écrits les plus anciens papyrus connus: un papyrus religieux découvert en 1962 à Dherveni en Macédoine (le seul papyrus trouvé jusqu’ici dans la péninsule et qui, étant donné le site où il a été découvert, doit être attribué au IVe siècle) et trois papyrus égyptiens: un contrat de mariage de l’île Éléphantine, daté de 311-310; un second document, la «plainte d’Artemisia», imprécation contre un mari qui a abandonné sa femme et ses enfants destinée à être affichée dans le temple des dieux pris à témoin de son forfait; un texte littéraire, fragment des Perses du poète Timothéos de Milet. Ces deux derniers fragments peuvent être datés du IVe siècle par comparaison avec le contrat d’Éléphantine.L’écriture de ces quatre textes, qui ne sont d’ailleurs pas tous de même qualité, est une capitale – les paléographes hellénistes commencent à abandonner le terme jadis consacré d’«onciale», afin d’éviter toute confusion avec un autre type d’écriture dont il sera parlé plus loin et avec l’«onciale» latine – semblable à celle des inscriptions contemporaines, mais, comme il est naturel pour une écriture au calame, moins régulière, plus libre et dont certains tracés, par exemple le et l’ 行, se sont déjà parfois simplifiés (fig. 1).Il a souvent paru surprenant que les Athéniens du siècle de Périclès aient pu se contenter d’une écriture aussi lente et scolaire, mais le fait qu’il n’y a aucune différence entre le document et les trois autres textes «littéraires» incline à penser qu’il n’existait pas encore alors de véritable cursive. Ce n’est guère que vers le milieu du IIIe siècle que celle-ci se dégage de l’écriture livresque; les tracés s’y simplifient, comme dans toute écriture vraiment cursive , certains ductus se modifient, les lettres deviennent anguleuses, elles se lient les unes aux autres sans souci de la séparation des mots; dès le IIe siècle, la cursive devient peu lisible; elle poursuit son évolution, d’une façon souvent anarchique, jusqu’au IVe siècle de notre ère (fig. 2).Les chancelleries des hauts fonctionnaires ont employé, du moins à l’époque impériale – les Romains ayant conservé, en Égypte, le grec comme langue administrative –, une capitale cursive, beaucoup plus claire et proche des écritures livresques, et dont il existe des formes solennelles étirées en hauteur, assez voisines de celles qu’utilisent alors les grandes chancelleries de langue latine (fig. 3 et 4).L’écriture des livres conserve plus fidèlement, à quelques exceptions près, les formes fondamentales de la capitale, les modifications qu’elle lui fait subir portent plus sur le style que sur la structure: les paléographes distinguent ainsi à la fin du règne des Ptolémée et au début de l’occupation romaine un style ornemental caractérisé par la présence d’empattements à la base et au sommet des hastes verticales; en Italie, c’est dans le style ornemental que sont copiées les œuvres de Philodème (fig. 5).Au IIe et au IIIe siècle, peut-être par réaction, apparaît le style sévère caractérisé par sa simplicité et le contraste entre la largeur des 鱗, , 識, 什, 刺, et l’étroitesse des 隣, 林, 粒, 刺, , comme dans les papyrus du IIIe siècle avant J.-C. (fig. 6).Au IIIe siècle naît un nouveau style auquel on a donné le nom d’onciale biblique , parce qu’il est celui des célèbres manuscrits de la Bible: l’Alexandrinus, le Sinaïticus , le Vaticanus , et que le paléographe qui lui a consacré récemment une étude approfondie préfère appeler «majuscule biblique». Il est caractérisé par la tendance à inscrire la lettre dans un carré imaginaire, par l’absence d’empattements, comme dans le style sévère, mais surtout par le contraste entre des traits verticaux épais et des traits horizontaux maigres qui résulte d’un changement dans l’«angle de l’écriture» ou des «graisses», c’est-à-dire dans l’angle que fait le bec du calame avec la ligne sur laquelle repose l’écriture, et de l’adoption d’un calame à bec plus large que celui qu’utilisaient antérieurement les Grecs pour l’écriture livresque, innovations dont on trouve déjà la trace dans certains exemplaires, assez tardifs d’ailleurs, du style ornemental (fig. 7).L’apparition de ce style est donc contemporaine de la fameuse «crise du IIIe siècle» et, techniquement, du passage du volumen au codex et du papyrus au parchemin, adopté par les chrétiens; l’apogée de ce dernier coïncide avec le triomphe du christianisme.Sous l’Empire byzantin (IIIe-XVe s.)La crise du IIIe siècle a eu des répercussions plus importantes dans les écritures documentaires. Sous l’impulsion de la chancellerie impériale, désormais fixée à Constantinople (330), se manifeste une nouvelle cursive, la cursive byzantine , qui subit l’influence de la cursive latine contemporaine, ce qu’explique assez bien non seulement le déplacement de la chancellerie, mais aussi l’effort de latinisation qu’on constate en Égypte sous Dioclétien, au point que les deux écritures tendent à se confondre et qu’on aimerait, pour caractériser cette hybridation, inventer un mot qui calquât le terme de bilinguisme: il semble qu’il n’y ait plus qu’une écriture, qui est tantôt d’expression grecque tantôt d’expression latine (fig. 8).Cette nouvelle cursive a joué un rôle décisif lors de la véritable renaissance qu’a connue au VIIIe siècle l’Empire byzantin. La nouvelle écriture grecque, celle qui est aujourd’hui encore employée tant pour les livres imprimés que dans la vie courante, la minuscule, s’est en effet formée à partir de la cursive: tout en gardant certaines ligatures usuelles et claires, elle a séparé les lettres, réintroduit, aux IXe et Xe siècles, certaines formes onciales, réduit la dimension des lettres et su allier à la clarté des onciales la fluidité et la rapidité des cursives; elle a conservé et régularisé l’usage des signes diacritiques, esprits et accents, introduits par les Alexandrins (fig. 9). Le plus ancien manuscrit daté en minuscule est l’évangéliaire Uspensky (Leninopolitanus , 219) écrit en 835.L’usage de la nouvelle écriture a obligé à recopier systématiquement tous les textes jusqu’alors écrits en lettres capitales ou en onciale; cette opération, appelée translittération , a été l’occasion d’un travail critique considérable, qui a donné aux œuvres des grands écrivains grecs la forme sous laquelle on peut les lire actuellement. La minuscule est demeurée, au cours des âges, extraordinairement fixe, en ce sens du moins que, sous les déformations qu’une cursivité excessive ou la recherche d’un style ont pu parfois lui infliger, le modèle idéal que l’éducation a imposé à l’écrivain demeure essentiellement immuable.On y distingue cependant deux grandes périodes, séparées par la prise de Constantinople par les croisés en 1204 et la création de l’Empire latin d’Orient (1204-1261): de nombreux lettrés et scribes ayant alors émigré à Nicée et en Épire, l’unité de l’écriture grecque a été compromise. Après le rétablissement de l’Empire byzantin, l’écriture, tant documentaire que livresque, se rénove et retrouve la beauté et la lisibilité qu’elle a connues au XIe siècle (fig. 10).Après la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, les lettrés qui émigrent en Occident remettent en honneur la minuscule antérieure au XIIe siècle, de même que leurs disciples ressuscitent la minuscule latine carolingienne.Le premier livre grec imprimé est de 1476. Comme les imprimeurs latinistes, les hellénistes ont adopté l’écriture des manuscrits avec ses signes diacritiques et ses ligatures, ce qui posait de grosses difficultés techniques: une casse grecque comporte, dans un même corps, 22 見 en raison des combinaisons possibles avec l’esprit, l’accent et l’iota souscrit, sans compter les ligatures! Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’on a, enfin, renoncé aux ligatures (fig. 11).2. Paléographie latineLa paléographie latine est née une trentaine d’années avant la paléographie grecque et dans des conditions très différentes: c’est en effet à la suite d’une polémique avec le bollandiste Daniel Papebroch sur l’authenticité des actes mérovingiens que dom Jean Mabillon, bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, fut amené à publier en 1681 son De re diplomatica : la paléographie n’y occupait que les quatre derniers chapitres. Comme les premiers naturalistes dont il est le contemporain, Mabillon a cherché à classer les écritures d’après leurs formes extérieures: «Par la structure des plantes, on entend la composition et l’assemblage des pièces qui en forment le corps», écrivait Joseph Pitton de Tournefort dans ses Éléments de botanique (1694). Mabillon distingue donc trois types d’écritures romaines: uncialis ou capitalis , minuta ou minuscula , minuta forensis , et quatre types d’écritures «nationales» qu’il considère comme des créations originales: gothique, lombarde, franque, anglo-saxonne .Cette classification fut réfutée par Scipion Maffei dans son Istoria diplomatica (1727). Maffei soutint le premier la thèse, universellement adoptée aujourd’hui, de l’unité originelle de l’écriture latine, les prétendues écritures «nationales» n’étant que des «dégénérescences» des écritures romaines.Le chef-d’œuvre de l’école des «nomenclateurs» se trouve dans les six volumes du Nouveau Traité de diplomatique des deux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, dom Tassin et dom Toustain (1750-1765). La partie paléographique de leur traité est «une histoire abécédaire» où les auteurs s’efforçaient d’enseigner «l’art de déterminer l’âge et la patrie des caractères par la variété de la figure et des traits qu’ils ont contractés depuis leur origine jusqu’au XVIe siècle» (t. II, p. 2). Classer ainsi les lettres d’après leur forme extérieure ne pouvait aboutir qu’à une classification arbitraire d’une complication extrême. De fait, celle des mauristes est à l’heure actuelle tout à fait inadéquate et souvent même incompréhensible.L’étude du ductusC’est à la fin du XIXe siècle, dans l’Anleitung zur lateinischen Paläographie de W. Wattenbach (1866) et dans les travaux de Léopold Delisle, que de nouvelles tendances plus fructueuses s’affirmèrent: elles participent un peu du même esprit que celui qui depuis Cuvier anime les recherches du naturaliste. Ce n’est plus d’après leur forme que le paléographe étudie les lettres: il cherche à restituer le ductus , c’est-à-dire le mouvement de la plume qui les engendre; il devient, comme disent les botanistes, un «généticien».Au début du XXe siècle, en Angleterre et en Autriche, deux calligraphes, Edward Johnston et Rudolph von Larisch, s’inspirent dans leurs recherches des manuscrits latins. Ils sont ainsi amenés à approfondir l’étude de la technique, à retrouver la forme et la tenue de la plume les mieux adaptées aux tracés des caractères anciens, à en préciser le ductus.En France, et bien qu’ils ignorent alors les travaux de Johnston et de Larisch, des paléographes, vers 1938, conduisent leurs études suivant des méthodes analogues.D’autre part, dès la fin du XIXe siècle, Ludwig Traube assignait à la paléographie sa véritable place parmi les sciences historiques en considérant l’écriture comme l’expression d’une civilisation.Mais les efforts des paléographes latinistes ont été longtemps entravés par l’ignorance où ils étaient des écritures latines antérieures au Ve siècle.Les premiers graffiti pompéiens, source essentielle de la connaissance des écritures usuelles au Ier siècle de notre ère, ont été mis au jour en 1765; leur première publication, en 1792, passa inaperçue. Il fallut attendre la publication par C. Zangemeister du tome IV du Corpus inscriptionum latinarum. Inscriptiones parietariae pompeianae , à Berlin, en 1871, pour que les paléographes s’y intéressent, d’ailleurs modérément.Dès 1730, à Herculanum, à côté des papyrus de Philodème, on avait découvert des papyrus latins carbonisés en très mauvais état: un seul, le Carmen de bello actiaco , fut dessiné et gravé en 1793; deux autres furent partiellement reproduits par Zangemeister et Wattenbach dans leurs Exempla codicum latinorum litteris maiusculis scriptorum. Enfin, les découvertes des papyrus égyptiens n’eurent pas pour la paléographie latine la même importance que pour la grecque: de 1895 à 1914, on n’en avait découvert que deux cents environ, dont la moitié étaient alors publiés et une cinquantaine reproduits. C’est seulement en 1921 que Luigi Schiaparelli annexa définitivement à la paléographie latine l’étude de toutes les écritures antérieures au Ve siècle.D’autre part, les paléographes n’ont su utiliser rationnellement la photographie qu’assez tard. En 1952, on continuait encore à croire, comme en 1871, que les graffiti pompéiens et les papyrus carbonisés d’Herculanum (à l’exception de trois d’entre eux, mieux conservés) ne pouvaient être photographiés. Depuis 1858, on a publié d’assez nombreux recueils de fac-similés des manuscrits médiévaux, mais sans aucun plan méthodique. Ce n’est qu’en 1934 que E. A. Lowe a eu l’idée et l’énergie de réaliser un répertoire photographique intégral de tous les manuscrits antérieurs à l’an 800; A. Bruckner et R. Marichal ont suivi, mutatis mutandis , à partir de 1954, l’exemple de Lowe pour les «documents». Un colloque international a décidé, en 1953, d’entreprendre un catalogue photographique de tous les manuscrits datés.Bien que les paléographes n’aient pas encore pu exploiter ces collections qui demeurent inachevées, les grandes lignes de l’évolution de l’écriture latine sont, dès maintenant, assez bien connues.Les écritures latines antiquesL’alphabet latin est un alphabet grec occidental emprunté par l’intermédiaire des Étrusques. La plus ancienne inscription latine connue est la loi découverte sous le Niger Lapis du Forum romain et attribuée à la fin du VIe siècle. C’est une capitale très fruste; elle a pris sa forme définitive à la fin de la République. Les premiers livres romains connus, les papyrus d’Herculanum, antérieurs donc à l’éruption du Vésuve qui ensevelit la ville en 79, sont écrits dans une capitale que l’on appelle «rustique»; elle est également utilisée dans les affiches peintes sur les murs et dans certains documents; elle se caractérise par des lignes horizontales très grosses, des lignes verticales très maigres correspondant à une position du bec du calame faisant avec la ligne sur laquelle repose l’écriture un angle d’environ 60o, et par le dépassement en haut et à gauche des traits obliques de gauche à droite. L’usage de cette capitale s’est prolongé, au moins pour les livres de grande qualité, jusqu’à la chute de l’Empire (fig. 12 à 15).Dans l’usage courant, elle a donné naissance à une cursive devenue tout à fait autonome dès les débuts du Principat et dont les graffiti et les tablettes de cire les plus soignés de Pompéi nous fournissent de nombreux exemples; elle fut utilisée, plus ou moins évoluée, dans tous les documents jusqu’au IIIe siècle de notre ère; on l’appelle cursive ancienne ou majuscule cursive (fig. 16).Aux IIIe et IVe siècles apparaissent trois nouvelles écritures: dans les livres la minuscule primitive , qu’on appelle parfois semi-onciale , dénomination qu’il est préférable de réserver à la forme canonisée qu’elle a reçue vers le Ve siècle, et l’onciale ; la première, comme le nom qu’on lui a donné l’indique, annonce déjà la minuscule caroline; la seconde est encore une capitale, sans empattement et où prédominent les formes rondes; toutes deux ont des traits horizontaux maigres, des traits verticaux gras – le contraire donc de la capitale – et ont dû être écrites avec un calame dont le bec ne formait qu’un angle de 15o avec la ligne de base de l’écriture. Comme l’onciale biblique grecque, onciale et semi-onciale seront par excellence les écritures des livres chrétiens: elles ont été employées usuellement, plus ou moins correctement, jusqu’au VIIIe siècle et ont fourni aux manuscrits médiévaux des initiales et des majuscules (fig. 17 à 19).La troisième écriture nouvelle est cette cursive documentaire dont on a dit plus haut qu’elle s’était pour ainsi dire confondue avec la cursive grecque contemporaine: on l’appelle cursive récente ou minuscule cursive (fig. 20).L’origine de ces trois écritures est controversée: pour les uns, c’est la cursive qui a donné naissance aux écritures livresques; pour les autres, c’est l’écriture livresque qui s’est transformée en cursive.La chute de l’Empire et la fondation des royaumes barbares rompent l’unité de l’écriture latine; de là, les écritures dites «nationales», les documentaires dérivant de la cursive récente, les livresques de la semi-onciale dans laquelle s’introduisent des formes cursives. On donne souvent aujourd’hui aux écritures livresques le nom de précarolines (fig. 21).L’héritage de la renaissance carolingienneAvec la renaissance carolingienne du VIIIe siècle se crée une nouvelle écriture livresque, la minuscule caroline : le plus ancien manuscrit datable en minuscule caroline est la Bible écrite à Corbie sous l’abbatiat de l’abbé Maurdramne (772-780). La minuscule caroline a pour base la semi-onciale: le format en a été réduit, on lui a enlevé ainsi son caractère «monumental», on lui a donné plus de souplesse, de rapidité, une densité qui permettait une grande économie de parchemin, tandis que, par l’introduction de quelques lettres précarolines bien formées, on lui conférait une lisibilité telle que, depuis que les humanistes du XIVe siècle l’ont remise en honneur et fait adopter par les imprimeurs, il ne lui a été apporté jusqu’à nos jours aucune modification structurale (fig. 22).La caroline s’est étendue à toutes les régions de l’Europe où s’écrivait le latin: la conquête normande en Angleterre, la Reconquista en Espagne ont expulsé les écritures insulaires et les écritures wisigothiques ; c’est pacifiquement, et lorsque les hautes études émigrèrent des couvents dans les universités, qu’elle supplanta, dans le sud de l’Italie, sa grande rivale culturelle, la bénéventine ou écriture du Mont-Cassin, à la fin du XIIIe siècle (fig. 23 à 25).Mais, à cette date, la caroline a pris un nouvel aspect dont le trait le plus apparent est la décomposition des arcatures courbes en angles aigus – ce que les paléographes appellent la «brisure»; cette évolution, qui n’altère point la structure, a commencé en Angleterre dès le XIe siècle; elle tient probablement à une modification technique: la taille en biseau du bec de la plume. Les humanistes, qui méprisaient cette écriture comme les textes qu’elle transcrivait, l’ont traitée de gothique , comme les cathédrales dont elle est contemporaine, et sans d’ailleurs établir entre son caractère anguleux et les arcs brisés le rapprochement assez superficiel que l’on est tenté de faire. L’écriture gothique est, sous sa forme la plus usuelle, l’écriture des universités; sous ses formes solennelles, celle des grands livres liturgiques (fig. 26).Dans les documents, la caroline est d’usage courant dès la fin du IXe siècle; elle devient de plus en plus cursive à mesure que l’usage de l’écriture se développe, au moins dans les milieux urbains (fig. 27).À partir du XIVe siècle, la cursive donne naissance à une nouvelle écriture livresque nommée bâtarde (fig. 28).Enfin à Florence, au début du XVe siècle, les humanistes, admirant l’écriture des manuscrits du Xe et du XIe siècle qu’ils recherchent avidement pour y retrouver les textes classiques plus ou moins délaissés par les scolastiques, l’imitent tout en la perfectionnant par une plus grande régularité, l’addition de petits empattements aux bases des traits verticaux, une refonte de certaines lettres comme le g. On lui donne le nom d’humanistique, ou plus précisément d’humanistique ronde. À côté, mais provenant cette fois de la cursive gothique florentine influencée par la nouvelle livresque, apparaît dans l’usage courant l’humanistique cursive (fig. 29 et 30).Les premiers imprimeurs utilisent la gothique sous ses formes les plus solennelles bientôt réservées comme dans les manuscrits aux livres liturgiques, une lettre de somme , plus simple, pour les ouvrages scolastiques, la bâtarde pour les œuvres en langue vernaculaire, l’humanistique ronde (le romain , que K. Sweynheym et A. Pannartz employèrent les premiers à Subiaco en 1465) et l’humanistique cursive (l’italique , qui fut inventée par Alde Manuce en 1500) pour les classiques.• 1708; de paléo- et -graphie♦ Science du déchiffrage, de l'interprétation des écritures anciennes (⇒ épigraphie, papyrologie). — Adj. PALÉOGRAPHIQUE .paléographien. f. Didac. Science du déchiffrage des écritures anciennes (inscriptions, manuscrits, chartes, etc.).⇒PALÉOGRAPHIE, subst. fém.Science qui traite des écritures anciennes, de leurs origines et de leurs modifications au cours des temps et plus particulièrement de leur déchiffrement. Paléographie romaine, sémitique. Que la paléographie latine du Moyen Âge fasse partie du bagage obligatoire des médiévistes, comme la paléographie des hiéroglyphes de celui des égyptologues, c'est évident (LANGLOIS, SEIGNOBOS, Introd. ét. hist., 1898, p.31). La communauté de saint Maur n'a pas donné au ciel un seul saint, est-ce enviable? Et puis... et puis... la science Bénédictine —est-ce que, sauf pour la paléographie musicale, l'École des Chartes ne lui dame pas partout le pion? (HUYSMANS, Oblat, t.1, 1903, p.86). La paléographie a un domaine illimité, qui s'étend à toutes les parties du monde où, depuis quelque six millénaires, on a fixé le langage humain par des signes conventionnels destinés à le transmettre et à le conserver. Il y a une paléographie mexicaine comme il y a une paléographie grecque (L'Hist. et ses méth., 1961, p.528).Prononc. et Orth.:[
]. Att. ds Ac. dep. 1798. Étymol. et Hist. 1. 1708 «traité sur les écritures anciennes» (B. DE MONTFAUCON, lettre au président Bouhier, 14 janv. ds De la correspondance inéd. de Dom B. de Montfaucon, éd. Ph. Tamizey de Larroque, 1879, p.19); 2. 1798 «science des écritures anciennes» (Ac.). Empr. au lat. sc. palaeographia (1708, B. DE MONTFAUCON, Palaeographia graeca, Paris), comp. du gr.
«ancien» et -
(de
«écrire»).
paléographie [paleɔgʀafi] n. f.ÉTYM. 1708; de paléo-, et suff. -graphie.❖♦ Didact. Connaissance, science des écritures anciennes sur supports souples (diplômes, chartes, etc.), par oppos. à l' épigraphie (supports durs : pierre, etc.). || Paléographie et diplomatique (I.). || Manuscrits, palimpsestes étudiés par la paléographie.➪ tableau Noms de sciences et d'activités à caractère scientifique.❖DÉR. Paléographe, paléographique.
Encyclopédie Universelle. 2012.